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G. Mickle: La patrina lakto kaj la tero
Eŭgeno Lanti: Manifesto de la Sennaciistoj
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Dernière actualisation:
2017-07-22
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Gary Mickle:

L'Espéranto peut-il sauver la « diversité culturelle » ?

(trad. Claude Trésorier)

Pendant les années 70, on constate un glissement des prises de positions du mouvement espérantiste (ou communauté, pour utiliser un terme plus à la mode). Pour ainsi dire, la motivation « pacifique » fut superposée par un nouveau motif : la conservation des cultures ethniques, des langues et les identités ethniques. Ce qu'on appela l'« ethnisme » devint une sorte de standard chez les locuteurs de l'Espéranto.

Au fond, on passa d'une idée quelque peu exagérée – celle qu'une langue commune puisse devenir l'un des moyens essentiels pour pacifier le Monde – à une idée complètement insoutenable. On exprime alors le voeux, qu'une langue neutre commune, une fois introduite de façon universelle, resterait dans un rapport mineur aux cultures et langues ethniques et ne leur causerait aucun dommage ni ne tenterait de les éliminer, au contraire de l'Anglais ou d'autres langues de puissances.

Pourquoi cette idée s'est-elle popularisée ?

La raison en est double :

  • Le motif pacifiste a perdu de sa crédibilité comme support à l'introduction universelle de l'Espéranto. A l'époque de la guerre froide et de la guerre du Viêt-Nam dans les années 60, l'idéologie semblait plus une cause de conflits que les confrontations interethniques, perçus à une époque précédente.
  • Certaines parties du Mouvement Espérantiste, principalement l'Organisation Mondiale de la Jeunesse Espérantiste (TEJO), furent réceptives à une idée qui les rendrait plus radicales aux yeux de jeunes de leur génération, tout en évitant de trop provoquer de désaccord au sein de TEJO-même. Le nationalisme ethnique semblait adéquat à ce but. Son contenu politique pouvait être présenté comme « anti-impérialiste » à un public de gauche, et comme conservateur et comme une affaire orientée sur la tradition à un public de droite.

Voici pourquoi TEJO s'accrocha depuis 1968 à l'idée de promouvoir l'Espéranto comme moyen de lutte contre l'« impérialisme culturel » et « l'impérialisme linguistique ». C'est précisément au Congrès de Tyresö (Suède) que fut approuvée la fameuse « déclaration de Tyresö ». Dans la décade qui suivit, ces idées gagnèrent en popularité dans l'ensemble du Mouvement espérantiste, c.a.d. dans l'Association Universelle d'Espéranto (UEA) et dans une moindre part, dans l'Association Mondiale Anationale (SAT) traditionnellement à gauche.

Plusieurs hypothèses se proposent à l'explication que l'Espéranto aiderait à la conservation de la diversité des cultures ethniques (que l'on met de façon simpliste en équation avec la diversité culturelle ethnique) et des langues en danger de disparition. Elles ont toutes rapport aux soi-disant effets qu'elle aurait si elle était introduite dans un usage généralisé en tant que « langue seconde pour tous ».

Guy Héraud : L'Espéranto et le nouvel ordre Ethno-fédéraliste

L'un des premier à populariser cette idée, du moins dans la période de l'après guerre fut un non-espérantiste qui entra en contact aux environ de 1970 avec des jeunes espérantistes – justement alors que ceux-ci emboîtaient le cap donné par la déclaration de Tyresö. C'est Guy Héraud, professeur de Droit Français, et l'un des avocats profilés du fédéralisme ethnique qui est le surgeont de ce que l'on nomme « ethnisme », c.a.d. une sorte de nationalisme communautaire. Héraud était de plus membre de la Nouvelle Droite, membre du GRECE, la fabrique idéologique de la nouvelle droite fondée par Alain de Benoist. C'est une tactique typique de la Nouvelle droite que celle de mettre en contact des gens de gauche et des partisans atypiques de la droite ; et de leurs idées. Ce n'était donc aucunement en contradiction avec la politique de la nouvelle droite de chercher le contact avec de jeunes espérantistes, quoique ceux-ci penchent plus à gauche en politique.

Héraud publia un article [1], que beaucoup d'espérantistes ont lu, où il proposait l'idée que l'Espéranto soit introduit comme une langue universelle seconde à l'intérieur de la Communauté européenne réorganisée selon le principe du fédéralisme ethnique, c.a.d. de façon à ce que les minorités ethniques fussent propriétaires et usufruitières, culturellement autonomes bien que territoires organisés de façon fédérale. Sa thèse était que l'application généralisée de l'Espéranto permettrait à ces conditions que les petites ethnies se détachent plus rapidement des langues des grandes nations, qu'elles utilisent actuellement sous leur pression, et qui menacent leur identité spécifique (comme l'Allemand dans le cas des Sorbes ou le Français dans le cas des Bretons).

Ce n'est pas là une évaluation complètement irréaliste, pourtant, seulement à condition que ;
a) un ordre européen nouveau reposant sur le fédéralisme ethnique soit réalisé,
b) L'Espéranto soit introduit dans toute l'Europe,
c) A la population des unités ethniques ainsi fédérées soit inoculée assez de ferveur nationale pour qu'elles se distancient de langues qui précédemment les « oppressaient ».

Quoi qu'il en soit, de nombreux espérantistes se sont rattachés à l'idée que l'Espéranto contribuerait au maintien des petites ethnies et de leurs langues. Ils ne se sont pas donné la peine de considérer la logique interne de la proposition, qui était celle du fédéralisme ethnique incluant ses présupposés nationalistes quant aux hommes, aux communautés et leurs identités.

Andrea Chiti-Batelli : l'Espéranto comme l'équivalent moderne du Latin du Moyen-Âge

Jusqu'aux années 80 bien des espérantistes avaient déjà fait de la protection des petites ethnies et des identités traditionnelles une partie de leur refrain publicitaire habituel en faveur de l'Espéranto, quoique le fédéralisme ethnique restât le plus souvent inexprimé. C'est vers cette époque qu'Andrea Chiti-Batelli, ex-haut fonctionnaire du Sénat italien et l'un des amis personnels de Guy Héraud, entra sur scène. Chiti-Batelli, tout comme Héraud, s'intéressa à l'Espéranto sans devenir espérantiste au sens plein. Mais il avait une maîtrise passive de l'Esperanto suffisante pour traiter du mouvement espérantiste et de sa politique. Depuis de nombreuses années, il commente sa stratégie dans de nombreuses publications qui soulignent l'idée que l'anglais est devenu mondialement une langue 'glottophage' ('prédatrice de langues') et 'ethnolitique' ('destructrice d'ethnies'). Cette situation est considérée comme une catastrophe culturelle dont on ne pourrait se détourner que si on utilisait une langue neutre est non-ethnique dans la communication internationale – l'Espéranto, évidemment.

Chiti-Batelli ne livre pas une explication aussi convaincante que celle de Héraud quant aux résultats salvateurs qu'il espère une fois l'Espéranto introduit. Cependant, il affirma souvent sans ambages pourquoi il pensait de l'Espéranto qu'il ne pourrait jamais engloutir une autre langue. Il croit que l'Espéranto langue auxiliaire n'aura jamais « la capacité destructrice que l'anglais possède », car il est « mort » (et il met ce mot entre guillemets), c.a.d., « la langue de personne et une langue sans le poids culturel et politique d'un peuple ou d'un état la soutenant. ». Il compare cet usage de l'Espéranto à celui du Latin médiéval, qui était pareillement « mort », quoique constamment en usage comme langue internationale. Le Latin médiéval, remarque-t-il, ne fut aucunement un frein à la floraison des langues parlées en Europe, ni à leur évolution à des langues nationales modernes.

L'idée que le rôle social de l'Espéranto une fois généralement introduit serait comparable à celui du Latin médiéval n'est pas crédible. D'une part, l'Espéranto est tout différent d'une langue « morte », même actuellement et parmi des locuteurs au nombre limité, et si d'autres personnes que Chiti-Batelli le considère comme une langue « morte », les espérantistes les contredisent avec véhémence. Effectivement, il est une langue vivante qui évolue spontanément par l'usage. Les locuteurs de l'espéranto fondent souvent des familles et l'Espéranto devient la langue familiale des enfants. L'usage de l'Espéranto comme langue maternelle pourrait bien devenir un phénomène social d'ordre important dans le cas hypothétique de son choix comme langue universelle seconde par les masses populaires en Europe. D'autre part, l'Europe du XXIe s. – car l'Europe est le continent qui intéresse Chiti-Batelli – est quelque peu différente de l'Europe du Moyen-Âge. S'il était utilisé par les masses populaires et non par une élite restreinte comme le Latin du Moyen-Âge et dans une société dotée de moyen de communication de masse, une intercommunication électronique immédiate etc., l'Espéranto ne pourrait pas faire autrement que de dépasser rapidement l'anglais par l'ampleur de son usage. Enfin, si l'Espéranto héritait vraiment des fonctions remplies actuellement pas l'anglais, il deviendrait bientôt la langue dominante de l'Union Européenne et celle des monopoles qui agissent en Europe. Autrement dit, il aurait bientôt « un poids culturel et politique » égal et même supérieur à celui de l'anglais actuellement.

Helmar Frank : « L'efficacité propédeutique »

Helmar Frank, professeur de pédagogie cybernétique à l'Université de Paderborn en Allemagne, publia un long essai sur l'avenir de l'Union Européenne, « Europa so – oder besser ? » qui consiste pour la plupart en un plaidoyer pour l'adoption de l'Espéranto (qu'il persiste personnellement à appeler « ILo ») comme langue pour l'Europe. Frank estime que l'« ILo » ne deviendra jamais ce que lui et d'autres appellent « une langue assassine » – telle que celle qui élimine les autres langues ou les sapent par l'introduction d'un matériau de vocables étrangers. C'est par une audacieuse tentative de justification de son point de vue, qu'il met l'accent sur le système éducatif, la législation qui le sous-tend, les résultats de l'enseignement public sur la société comme ensemble. Frank cite les preuves expérimentales qui montrent que l'apprentissage de l'Espéranto à un âge précoce a une utilité très motivante et propédeutique pour les élèves qui plus tard continueront par l'apprentissage d'autres langues plus difficiles. Ainsi, il prophétise de façon optimiste l'avènement d'une société polyglotte en Europe – qui sera à portée de main sans augmenter le temps consacré à l'enseignement de langues étrangères à l'école. Une société polyglotte serai un soutient à la conservation des langues.

Frank étaye son argumentation en soulignant l'importance du système du droit linguistique qui garantit la primauté des langues nationales dans les systèmes scolaires à l'intérieur de leurs territoires respectifs. Comme Héraud, il espère de l'Espéranto une incidence positive à l'intérieur d'un cadre juridique adéquat.

Les arguments de Frank soulignent les effets sociologiques globaux de l'enseignement de la langue dans les écoles. L'attribution d'une efficacité propédeutique extraordinairement grande et motivante de l'Espéranto en tant que facilitant à un apprentissage linguistique ultérieur incite dans les faits à nous poser une question : comment se peut-il que des effets similaires d'apprentissage linguistique, attribuables à la proximité des langues nationales ne furent-ils jamais observés puis systématiquement utilisés, puisqu'ils sont vraiment aussi conséquents ? Le Portugais et l'Espagnol ou le Néerlandais et l'Allemand par ex. sont de telles paires de langues parentes que l'on pourrait utiliser régionalement pour l'autre comme une « propédeutique » à l'apprentissage linguistique.

Une autre objection est qu'apprendre l'espéranto n'est pas une chose qui coule de source, comme les différences des capacités linguistiques entre espérantistes le montrent. L'Espéranto est certes bien plus facile à apprendre que l'anglais, mais cela signifie toujours qu'un apprentissage de plusieurs années sera à envisager pour atteindre un niveau approchant celui de la langue maternelle. Très vraisemblablement que l'enseignement de l'Espéranto prendra en compte la plus grande partie de l'horaire qui est actuellement consacré à l'anglais dans les systèmes scolaires des pays qui pour l'instant en font leur principale langue étrangère au programme, bien que le résultat final serait en conclusion bien supérieur. Frank exagère certainement le temps qui subsisterait pour l'apprentissage des autre langues dans un contexte typiquement scolaire.

Il faut remarquer que Frank parle des fruits hypothétiques que récolteraient les langues nationales et de minorités de quelque grandeur. Frank éprouve de la sympathie pour le fédéralisme ethnique. Il ne prétend pas que l'Espéranto prourrait seul « sauver » les langues minoritaires avec déjà un pied dans la tombe, mais appelle à la création de « régions culturellement protégées » pour des groupes comme les sorbes, bien trop faibles pour établir un état viable.

L'économie de l'apprentissage

Les arguments favorables à l'Esperanto réapparaissent souvent accompagnés de la quantité de temps nécessaire pour atteindre un niveau défini de capacité dans diverses langues. Une supposition courante est celle que le temps économisé pour l'apprentissage de l'Espéranto au lieu de l'anglais serait réutilisable pour le perfectionnement de la langue maternelle. C'est là une partie de l'argumentation de Helmar Frank.

2000 h = 200 h + 1800 hUn exemple imagé de ce genre de calcul est fourni par un des partisans de Eŭropa Bunto, un groupement qui envisagea une manifestation à Strasbourg le 9 mai 2004, à la fois d'espérantistes et de dénommés « défenseurs des langues » en faveur de la diversité linguistique, la protection des « racines menacées », des identités ethniques et autres idées comparables. Ce slogan déclare : « Monolithe anglais ou arc-en-ciel Espérantiste ? Une langue difficile ne peut pas protéger la diversité. » Ceci accompagné d'une équation montrant le contraste des 2000 heures d'apprentissage de l'anglais face aux 200 heures d'apprentissage de l'Espéranto ajouté aux 1800 heures d'apprentissages linguistiques variés. On exprime implicitement que 200 heures d'Espéranto produit des résultats équivalents à ceux atteints en 2000 heurs d'anglais. Sans doute que la majorité des espérantistes-mêmes consentiraient que ce soit là très exagéré.

Mais le plus grand problème soulevé par cette quantification est que l'on suppose que le temps économisable par l'apprentissage de l'Espéranto au lieu de l'anglais dans un cadre social quelconque envisageable, serait employé selon les vœux formulés par ceux qui en font le calcul, c.a.d. pour l'apprentissage de langues ethniques, principalement de celles qui sont menacées de disparition. À moins de le rendre obligatoire, les jeunes gens réels utiliseraient vraisemblablement ce temps pour beaucoup d'autres activités mais rarement pour ce genre d'apprentissage linguistique, quoiqu'en pensent les amis de la diversité linguistique. Et si les langues « politiquement correctes » étaient enseignées sur la base d'un apprentissage obligatoire, les résultats seraient à peine satisfaisants pour les espoirs des soutenants de l'idée. L'expérience montre que les langues apprises obligatoirement à l'école sont rapidement oubliées lorsque les réalités de la vie n'impliquent pas leur utilisation.

Malgré cela de tels arguments fondés sur l'économie de l'apprentissage linguistique font le plus souvent partie de ceux que l'on utilise pour expliquer de l'introduction mondiale de l'Espéranto devrait freiner la probable disparition des langues les moins courantes.

L'Espéranto est-il culturellement inerte ?

De temps en temps, on affirme directement ou indirectement que la « neutralité ethnique » – qualité que l'Espéranto possède indubitablement – est équivalente avec l'absence des influences culturelles « parasites » pour toute autre culture ou langue ethnique. Un groupe d'espérantiste visait d'utiliser l'Année Européenne des Langues (2001) pour populariser l'Espéranto. Quelques-uns d'entre eux profitèrent de l'occasion pour émettre le message, qu'il pouvait potentiellement protéger les langues ethniques contre les 'dommages' causés par l'importation de vocables anglais. Les 'dommages' en question ne consistaient pas en une paralysie complète de la langue, mais en une « perte d'identité » chez les locuteurs natifs, l'un des spectres les plus effrayants des ethnocentristes. Une brochure, Brilu ĉiu lingvo samrajte! (« Que chaque langue brille avec les même droits ») [3], traitant de ce thème fut publiée en plusieurs langues. Son auteur, László Gados, insiste sur ce que l'Espéranto est incapable de mettre en danger les 'langues maternelles' tel que l'anglais le fait. Il appelle les politiciens à « examiner l'introduction d'une langue non-ethnique, une langue planifiée, dans le rôle de langue commune, tout en remarquant qu'étant pratiquement neutre, son application ne mettrait aucune autre langue en danger de la supplanter comme langue maternelle. »

Premièrement, la distinction entre « langues maternelles » et Espéranto est quelque peu artificielle parce que l'Espéranto aussi est l'une des langues 'parentales' de plusieurs de ses utilisateurs alors que bien des « langues maternelles » sont pratiquées régulièrement par d'innombrables 'non-natifs'. Ici comme dans d'autre cas, personne ne présent le moindre argument convainquant pour soutenir l'affirmation que l'espéranto serait nécessairement inerte culturellement d'une façon qui ne serait pas valable pour l'anglais et les autres langues nationales. Qu'est-ce qui garantirait effectivement que l'Espéranto – si on l'adoptait comme langue commune neutre pour l'Europe – devienne une source « d'argot dommageable » par l'introduction d'un matériel lexical autre pénétrant les langues ethniques ? Son caractère a-ethnique, planifié et neutre n'influencerait-il point d'une façon ou d'une autre ? Nous n'avons pas besoin de nous perdre en conjectures longtemps sur ce point. Nous avons les preuves empiriques que l'Espéranto entre en interaction avec les autres langues tout comme l'anglais ! Il est courant d'observer que les espérantistes, lorsqu'ils remettent à parler leurs langues maternelles avec d'autres espérantistes de ces mêmes langues, commettent d'innombrables 'espérantismes' quand ils traitent de thèmes en relation avec l'Espéranto. La sous-culture des locuteurs de l'Espéranto ne se distingue pas quant à cela des sous-cultures internationales qui utilisent l'anglais pour la plus grande partie de ses travaux internes.

L'association « Eŭropa Bunto », qui envisage la manifestation à Strasbourg dont on parlait plus haut, fait circuler un appel, qui commence ainsi :

EUROPE ET DROITS LINGUISTIQUES : il faut agir en 2004 !

En 2004, l'Union Européenne s'agrandira et ce sera également l'occasion des élections européennes. Cependant, le problème linguistique reste non résolu, mais caché par un pseudo-multilinguisme en faveur seulement des 3 langues les plus puissantes. Par ce fait, nous risquons d'aller vers une hégémonie linguistique, et finalement une langue unique qui mettra gravement en danger la diversité linguistique et culturelle de l'Europe. C'est pourquoi notamment les espérantistes soutiennent le principe d'une langue-pont commune (et non pas unique) neutre qui permettrait un respect égalitaire de toutes les langues et l'efficacité pour la démocratie européenne.

Quelques-uns des slogans proposés par les sympathisants de E.B. et cités sur sa page Internet :

« L'Espéranto n'a pas de patrie. Chaque espérantiste, si ! »

« Vive ma langue…/ Je parle ma langue…/ J'aime ma langue… », Puis alors : « …grâce à l'Espéranto/… sous la protection de l'Espéranto ! »

Comme chez Gados, on fait allusion au fait qu'une langue-pont commune ne mettrait « aucunement la diversité linguistique et culturelle » au contraire des langues de « puissances ». Encore une fois, aucune explication crédible. Il est bien difficile de comprendre pourquoi l'Espéranto ou une quelconque langue commune – laissons de côté la discussion sur la neutralité – serait « émasculée » et d'une façon ou d'une autre moins l'expression d'une « hégémonie linguistique » que l'une des trois « langues de puissances » actuelles.

On ne devrait vraiment pas s'étonner que des scénarios probables quant à l'utilisation à grande échelle de l'Espéranto ne soient pas élaborés par les adeptes de la « diversité culturelle ». L'espéranto est une vraie langue et non pas une langue avec des propriétés magiques. Ce qui est étonnant, c'est que beaucoup d'espérantistes se sentent libres d'exploiter la crédulité du public en lui donnant les qualités d'une panacée.

L'approche prudente

Certains adeptes de l'Esperanto sont tellement séduits par les arguments de la « diversité » qu'ils ne peuvent pas vivre sans eux, bien que même s'ils semblent comprendre que l'Espéranto une fois adopté pour un usage mondial, ne pourrait vraiment pas protéger les autres langues de 'dommages' ou bien même de garantir la 'diversité culturelle'. Ils évitent d'éventuelles explications par de simples déclarations orales favorables à l'idéologie de la « diversité culturelle », sans affirmer que ce serait l'Esperanto qui servirait à cette affaire.

Le Manifeste de Prague, publié en 1996, probablement le document qui se rapproche plus qu'un autre d'une déclaration officielle quant aux buts politiques de UEA – certainement la plus importante organisation espérantiste. Il contient sept points. Le sixième a un rapport avec ce que nous traitons ici :

DIVERSITE LINGUISTIQUE

Les gouvernements nationaux tendent à traiter la grande diversité des langues dans le monde comme un obstacle à la communication et au progrès. Dans la communauté espérantophone pourtant, la diversité linguistique est vécue comme une source permanente et indispensable d'enrichissement. Par suite, chaque langue, comme toute espèce vivante, est porteuse de valeur et digne de protection et de soutien.

Nous affirmons que les politiques de communication et de développement, si elles ne sont pas fondées sur le respect et le soutien de toutes les langues, condamnent à mort la majorité des langues dans le monde. Nous sommes un mouvement en faveur de la diversité linguistique.

Cette déclaration fut rédigée par des gens qui voulaient absolument faire entendre le thème de la conservation des langues mais qui étaient suffisamment prudents pour ne pas prétendre que l'introduction de l'Espéranto serait directement utile aux langues menacées.

Un exemple de prétention à la « protection dans la diversité » en ce qui concerne l'Esperanto est fourni par Europe – Démocratie – Espéranto (EDE). EDE est une sorte de « Parti pro-Esperanto » qui présente actuellement des candidats pour les élections du prochain parlement européen en France. (Ce rassemblement a bien tenté de paraître sur les bulletins électoraux en Allemagne, mais n'a pas pu rassembler suffisamment de signatures.) EDE propose un programme avec une grande section sur l'introduction de l'Espéranto dans la communauté européenne et une autre qui fait appel à des mesures de protection en faveur des minorités ethniques et à la « maintien de la richesse linguistique et culturelle, l'assurance du respect des racines, le droit au rapprochement linguistique et culturel ». Ces deux sections du programme sont distinctes et coexistantes. En un seul endroit on relie les deux thèmes. Il s'agit d'un alinea qui fait la liste des avantages de l'Espéranto, où on certifie que l'un d'eux est le « respect assuré de la diversité et donc la préservation de la spécificité culturelle européenne. »

Perspectives d'avenir

Je ne serais pas étonné s'il apparaissait de nouvelles argumentations pour l'introduction de l'Espéranto afin de protéger les langues et les cultures ethniques considérant la permanence du discours ethnique et identitaire à la fois à l'intérieur de la communauté espérantiste et dans ses rapports publiques. Mais je pense avoir touché ici les arguments les plus souvent employés.

Il est certes difficile de prévoir ce que sera l'avenir d'une idéologie qui relie l'Espéranto à la « diversité culturelle », « la conservation de l'identité ethnique » et autres. Si on se réfère aux expériences passées, les espérantistes s'en distancieront une fois qu'elles auront perdu leur popularité dans le reste de la société. Certains signes montrent que cela a déjà lieu, du moins dans certains lieux ou milieux. De telles idéologies sont typiques pour la Nouvelle Droite européenne et on peut avantageusement les dénommer « ethnopluralistes » pour utiliser un terme créé par la Nouvelle droite elle-même. L'acceptation que cette sorte de pensée néo-droitiste recevra du public aura certainement une influence sur le cours idéologique futur des locuteurs de la langue Espéranto en qui on peut faire confiance que tôt ou tard, ils remarqueront de quel côté souffle le vent.

De même il sera significatif de voir le résultat final de la dispute enflammée qui a actuelemnt lieu dans la communauté espérantophone entre les fractions qui tiennent encore au concept original de la « victoire » de l'Espéranto qui deviendra la langue universelle seconde de l'humanité et celles qui estiment une telle évolution comme improbable et croient au lieu de cela à une sorte de style de vie alternatif.

Un mot ou deux d'explication des motifs qui m'ont conduit à rédiger cette critique d'une variété des l'idéologie espérantiste : en tant qu'espérantiste je crois que le collectif espérantophone devrait sorti du rail de l'argumentation ethniciste. Certaines parties de cette collectivité auraient alors plus de loisir pour développer une critique de l'inégalité linguistique comme partie du système global de l'inégalité sociale. Elles chercheraient alors la niche où l'Espéranto pourrait réellement aider – avec d'autre langues – pour améliorer la communication politique entre les hommes de provenances sociales et culturelles diverses, appartenant à des couches sociales exploitées. En outre, les adeptes de l'hypothèse de la « protection de la diversité » donnent souvent l'impression qu'ils parlent pour tous les espérantistes et je souhaite prendre position contre cette impression.

[1] "Pour une solution du problème ethnique" dans La Monda Lingvo-Problemo, Mouton, La Hague, n° 5, 1970, pp. 103-113 [retour]
[2] "Kia eŭropa politiko por la Esperanto-movado" dans Politika hegemonio kaj lingva hegemonio en Eŭropo, Universala Esperanto-Asocio, Rotterdam, 1995, pp. 4-12 [retour]
[3] László Gados: Brilu ĉiu lingvo samrajte!, Humana Esperanto-Asocio PLU, Zalaegerszeg (Hongrie), 2001; les éditions en diverses langues européennes sont basées sur l'original en espéranto [retour]

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